GEORGIE, DÉCEMBRE 2019
Célèbre pour ses monastères, Kutaïssi, la capitale de la région d’Iméréthie en Géorgie, est la troisième ville du pays. Je m’y rends pour m’imprégner de cette atmosphère mystique.
C’est mon deuxième voyage en Géorgie. Lors de mon premier voyage, un an plus tôt, je suis tombé amoureux de ce pays pour la beauté de ses montagnes et sa culture multi millénaire. Des contreforts de Tbilissi aux randonnées autour de la ville de Mestia en passant par le monastère troglodyte de Vardzia, j’ai toujours trouvé chez les gens que j’ai croisés cet accueil chaleureux typique du pays. Mais je n’étais pas allé voir les cathédrales et monastères sublimes qui se trouvent en contrebas des versants sud des montagnes du Caucase septentrional. Je m’étais promis de revenir.
Aujourd’hui, si je suis à Kutaïssi, logé dans cet hotel familial à l’architecture carrée typique, c’est pour me rendre au monastère royal de Ghélati, un des plus grands monastères orthodoxes médiévaux, et un véritable chef-d’œuvre de « l’Âge d’or » de la Géorgie médiévale. Ce matin de septembre, je me lève à 5h pour attraper le tout premier bus. La fille de la patronne de l’hôtel qui parle anglais m’a affirmé qu’il me conduirait au monastère de Ghélati.
On me fait assoir dans un vieux bus qui semble raconter sa jeunesse à l’époque soviétique. Café en main, quelques touristes et un couple de vieux s’installent à bord. Nous partons. J’ai les yeux qui piquent encore, la nuit commence à peine à s’éclaircir. J’espère arriver avant le lever du soleil, j’aimerais voir les premières lueurs du matin illuminer les monastères.
6h30, le chauffeur du bus me jette au sommet d’une colline boisée dominant la rivière Tskaltsitela non loin du monastère, qu’il pointe d’un gros doigt avec un grand sourire.
Les portes du monastère sont encore fermées quand j’arrive. J’en profite pour me promener à l’extérieur. Le soleil commence à embraser les coupoles vertes de la cathédrale centrale. Les tons chauds de la pierre, surplombée des nuances gris-vert changeantes des toitures, semblent donner la réplique aux troncs et aux feuillages des arbres alentour. Je suis heureux de voir ce monastère dans un environnement naturel intact ; la volonté de fusion entre bâtiment et paysage est une des caractéristiques architecturale de l’« âge d’or » géorgien.
Ghélati a été fondé en 1106 par le roi David IV « le Constructeur », qui ambitionnait d’y rassembler les intellectuels les plus éminents du pays pour créer un centre scientifique et pédagogique. Le monastère était également le siège d’une des plus importantes académies géorgiennes, et était pourvu d’un scriptorium, où des moines scribes copiaient des manuscrits. Cela lui valut le nom de « nouvelle Athènes ».
En 1922, les Bolcheviques en expulsèrent les moines pour en faire un département du musée de Kutaïssi, et ce n’est qu’en 1988 que Ghélati recommença à abriter une communauté monastique.
La cloche sonne sept heures. C’est le pope qui est monté en haut du clocher pour la faire carillonner à la main. Le temps de descendre les escaliers de pierre, et il vient ouvrir la lourde porte en bois du monastère.
L’air est frais. L’humidité est presque palpable. L’odeur de bois me remplit les narines. Je regrette le pull que j’ai laissé à l’hôtel.
Le pope commence sa procession matinale. Je le suis respectueusement tandis qu’un cierge à la main, il allume une à une les lampes à huile qui éclairent les fresques et les mosaïques médiévales. Elles remontent au XIIe siècle pour les plus anciennes, et au XVIIe siècle pour les plus récentes.
Le monastère de Ghélati est le seul monument de l’Asie Mineure orientale et du Caucase qui possède encore des mosaïques médiévales aussi bien conservées. Leur qualité est telle, qu’elles sont comparables aux plus belles mosaïques byzantines. Ghélati abrite aussi le plus grand ensemble de peintures des périodes méso-byzantine à post-byzantine en Géorgie, dont plus de 40 portraits de rois, de reines, et hauts dignitaires ecclésiastiques.
Le soleil commence à être haut dans le ciel. Je décide de rentrer à pied par la campagne. On m’a assuré qu’il était possible de suivre les chemins de fer jusqu’à la ville, tout en passant par un autre monastère. Muni d’une carte approximative, je descends lentement la montagne à la recherche de rails, en vain. Ne parlant pas le géorgien, je compte sur la gentillesse des habitants et sur mes talents d’acteur, pour mimer une locomotive à vapeur en espérant que quelqu’un m’indique le chemin. Un nouveau gros doigt et un large sourire me pointent « Kutaïssi » plus bas, le long de ce qui semble être, en effet, un chemin de fer.
Le chemin est étroit et je dois sauter entre chaque lame de béton qui ponctue les rails. Je me retourne régulièrement pour m’assurer qu’un train ne va pas m’arriver dessus à grande vitesse.
Rien. Un calme apaisant, tout au plus interrompu par le chant des oiseaux et les aboiements de chiens, au loin. Je marche sans regarder le temps qui passe. Les rails s’éloignent de la route et s’enfoncent de plus en plus profond dans la forêt, serpentant à travers la montagne.
Alors que je n’avais croisé personne depuis que je cheminais le long des rails, à la sortie d’un virage, soudain, un peu de vie humaine. Quelques maisons s’agglutinent de part et d’autre du chemin de fer. Des vaches mâchent mollement de l’herbe. Comme moi, elles guettent probablement le passage d’un train. À l’ombre d’une cabane, j’aperçois deux hommes en train de jouer au backgammon. Je lance la conversation dans un géorgien impeccable : « Kutaïssi ? ». Ils pointent les rails. Ouf, je suis dans la bonne direction. Ils me font signe de me joindre à eux, histoire de partager un peu de Chacha, une liqueur locale qui brûle le ventre. Ça ne se refuse pas. Je m’assois quelques instants, avale le verre d’un coup et les regarde jouer à ce jeu auquel je ne comprends rien. Je m’enfuis avant qu’il ne ressortent la bouteille.
Quelques dizaines de minutes plus tard, j’aperçois les contours du monastère de Motsameta se dessiner entre les montagnes. À l’intérieur, l’heure est à la prière et quelques paroissiens se pressent à l’entrée. J’observe la procession. La route est encore longue, il est temps pour moi de reprendre mon chemin jusqu’à Kutaïssi. Je reviendrai.
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